Chaque fois que j’accompagne des personnes en fin de vie –surtout si cet accompagnement s’étale sur plusieurs mois–, chaque fois je suis témoin de nombreux oscillements de la part de ces personnes qui vont du « Non, je ne regrette rien » à « Si c’était à refaire, je ferais… différemment ». À cet extrémité-là, les « Je ne regrette rien » signifient souvent « J’ai fait de mon mieux » ou « J’assume ce que j’ai dit » et à cet extrémité-ci les « Je ferais différemment » sont généralement précédés d’une périphrase comme « Compte tenu de ce que je sais maintenant…». Plus d’une fois, il arrive qu’un épisode donné soit d’abord jugé à un de ces pôles et, à une autre occasion, obtienne un verdict correspondant au pôle opposé. Cela m’a fait comprendre, on ne peut plus, la notion de jugement dernier qui est en fait un dernier jugement!
Fort de l’enseignement de ces personnes en fin de vie, je me suis mis à faire cette polarisation dès maintenant même si je n’ai aucune indice physique ou morale que ma mort est éminente. Pour le moment, cet exercice m’a fait toucher 4 ou 5 regrets que je voudrais progressivement transformer en brins de vie.
Par exemple, le tout premier regret qui me revient remonte au milieu des années cinquante où suite à la lecture attentive d’une lettre provenant des vieux pays, lettre qu’il avait toujours entre les doigts, un religieux m’offrit de participer à un mouvement de solidarité qui avait pour but la réunification des familles –comprendre ramener des enfants à leurs familles– disséminées par les deux grandes guerres mondiales. J’avais alors entre 13 et 15 ans, j’étais très timide, mal alaise avec mon surpoids d’adolescence et j’étais extrêmement introverti. Sans même savoir s’il s’agissait de faire des échanges de lettres, d’infiltrer un camp de jeunes ou d’animer un groupe d’enfants, je refusai net.
Aujourd’hui, à la suite de ces adolescents qui font un court séjour dans un pays en voie de développement, que ce soit en Afrique ou en Amérique du sud, je dirais oui….