Il est venu le temps de… désorienter[1]

Comme membre du Comité scientifique[1]du congrès de la Société canadienne d’orientation et de consultation (SCOC) qui s'est tenu à Québec au printemps de 1985, j’ai mis tout mon poids pour que le thème principal de cette manifestation soit « Autrement » car je constatais que depuis le début le début des années 80, quelque soit l’association, le congrès ou lieu de sa tenue, presque tous les thèmes étaient centrés sur l’arrivée prochaine du 2emillénaire (ère informationnelle ou numérique, mondialisation, dérèglementation, etc.) ce qui donnait l’impression qu’on avait rien à faire d’ici là et, encore pire, qu’on ne pouvait rien faire d’ici là. Mais ce mot unique ne ralliait pas la majorité anglophone du Comité organisateur de ce Congrès qui le trouvait trop vague je crois. Alors, faisant du « quitte ou double », je répliquai en proposant comme nouveau thème Autrement maintenant avec, comme traduction,Other ways now[2]. L’affaire était dans le sac et, selon les éphémérides du temps de cette Société devenue l’Association canadienne de counseling et de psychothérapie (ACCP), ce fut un congrès hors pair avec des conférenciers d’honneur comme Jane HOUSTON et Placide GABOURY…

Je fus[3]pendant plus quart de siècle membre d’un département[4]universitaire qui fut conçu selon un idéal alors très révolutionnaire : l’interdisciplinarité. Cet idéal devait institutionnaliser à tous les niveaux la dialectique thèse-antithèse-synthèse. Inévitablement cela tenait compte d’« autrements ». Dans la situation présente, les principales disciplines étaient par ordre alphabétique : économie, pédagogie, psychologie et sociologie. Mais, très rapidement, y émergea des guerres de clochers et des polarisations : psychopédagogique c. socioéconomique; micro c. macro; théorique c. pratique; Individu c. Environnement; etc. Alors l’interdisciplinarité (lire : organiquement en interaction dans un face à face) est devenue, le plus souvent, de la multidisciplinarité (lire : mécaniquement en parallèle regardant ailleurs)…[5]

À quelques reprises, j’ai dit que mon mot préféré était autrement[6]. J’en ai même fait une maxime : Quand il y a une seule façon de faire, elle est mauvaise ! (Limoges, 2001) que j’ai récemment commentée dans un billet sur ce blogue[7]. Voir autrement, comprendre autrement et faire autrement ; tout cela répond bien à mon cerveau droit avide de divergence et devient pour ainsi dire ma façon d’être contestataire…

Dire et faire le contraire ou… désorienter

Lorsque je jonglais avec l’idée d’amorcer une retraite graduelle de l’université[8], démarche qui viendrait à terme avec l’an 2000, j’étais passablement tiraillé sur tous les plans et, pour m’aider à y voir clair, j’étais plus que jamais attentif, d’une part, à mes ressentis et, d’autre part, à la teneur énergétique des personnes, événements et choses. Cela se faisait entre autres par des centrages, des méditations et à l’aide de massages en profondeur. Or ces derniers m’indiquaient de plus en plus que, si retraite de l’Université je faisais, elle m’amènerait à dire et à faire le contraire de ce que j’avais dit et fait jusqu’ici. En somme, me demande-ai-je, est-ce que cela revenait à dire qu’en tant « qu’orienteur » convaincu et surtout qu’en tant que formateur d’orienteurs engagé je devais, une fois hors de la pratique universitaire, « désorienter » et former les gens à faire ainsi ? Aimant me définir comme cohérent et persévérant — et étant perçu comme tel– ces « messages » furent, plus ou moins consciemment, laissés en jachère oubliant même que mon mot préféré était autrement ! À vrai dire, j’ignorai cet appel…

Mais en relisant une dernière fois mon billet ayant pour titre Ne pas dire tous ses secrets à la même personne avant de l’éditer le 3 janvier dernier, j’ai pris soudainement conscience que j’étais en plein dans la réalisation cette « prophétie » et ça depuis un bon moment déjà.

Par exemple dès 2004 dans le guide Bien se maintenir en orbite autour du travail au 1ertiers de carrière, en encourageant les mainteneurs amorçant une carrière à ne pas dire tous leurs secrets à la même personne –y compris, en sous-entendu, à leur conseiller–, n’étais-je pas désorientant par rapport aux pratiques et conseils en vigueur prônant la pleine confiance envers son intervenant ? Et toujours par rapport à ce Guide, n’ai-je point fait une sorte de volte-face par rapport à mes vingt années antérieures durant lesquelles je m’étais investi dans la problématique de l’insertion socioprofessionnelle ce qui m’avait amené à valider et promouvoir le modèle Trèfle chanceux ? Dans cette opération, pour l’essentiel, il était toujours question d’optimaliser la dynamique du « pousser » afin de pénétrer le monde du travail et de prendre sa place. Or avec le paradigme du maintien professionnel, c’est la dynamique du « tirer » qui est mise de l’avant pour atteindre ce même objectif. Ce volte face de ma part n’était-il pas désorientant pour ceux qui m’avaient suivi jusqu’ici, surtout s’ils ne saisissaient par le caractère systémique reliant ces deux approches ?

Et plus tôt soit le 1eraoût 2011 dans un billet dans Orientaction, en révélant n’avoir géré ma carrière qu’à partir d’obédiences, n’étais-je pas désorientant par rapport aux pratiques et conseils en vigueur qui prônent d’être actif et proactif et de faire de choix éclairés et réfléchis ?

En fait, ce « éventuellement dire et faire le contraire » remonte bien plus loin encore. Par exemple dès 1982 lors de la toute première édition de S’entraider, en faisant la promotion de la déprofessionnalisation et surtout de la désinstitutionalisation, n’étais-je pas désorientant par rapport aux pratiques et conseils de l’heure tous teintés de l’idéologie de l’état providence ? Toujours par rapport à cette publication (et ses éditions ultérieures), en privilégiant une empathie constituée d’un 360°de prises de positions toutes à l’horizontales, n’étais-je pas désorientant par rapport aux pratiques et conseils d’alors faisant la promotion de niveaux hiérarchiques dont la maitrise requérait une longue formation ?[9]

Et cette liste risque de se prolonger en aval si je juge par le projet en cours d’un traité sur le potentiel groupal !

Leçons de sagesse

Or, qu’il soit question d’« autrements » ou de « contraires», toutes ces désorientations se résument en un changement de perspective, d’angle ou d’accent, soit de l’intervenant vers le client. À l’analyse de ces jalons je réalise que, dans tous les cas cités, mon souci était tourné vers le client. Et temps pis si, à cause de cela, l’intervenant perdait du contrôle, ne sait plus tout sur son client ou n’avait plus l’exclusivité d’une bonne empathie !

Toutes ces désorientations rejoignaient une autre de mes constantes qui a aussi fait l’objet d’une maxime et d’un billet le 20 juillet 2011 : « Quand il n’y a qu’une seule façon de faire elle est mauvaise » ! Aux delà des techniques thérapeutiques les plus sophistiquées, ce qui prime profondément selon moi c’est la quête de sens et c’est sous cet angle que mon billet sur mes obédiences prend tout son sens.

L’âge aidant, je suis de plus en plus conscient que tout est vérité et que la dualité et les oppositions n’existent qu’aussi longtemps que la globalité nous échappe.

 


[1]Les autres membres de ce Comité scientifique étaient Charles BUJOLD (U. Laval)  et Gertrude POUPART (U. de Montréal). Quel merveilleux moment ce fut de travailler avec ces deux-là !

 [2]Cette version anglaise fut reprise à quelques autres endroits.

 [3]J’y suis toujours associé.

 [4]Secteur à deux reprises.

 [5]Ce « dérapement » n’était pas le premier, le plus célèbre étant le passage du Canada de l’interculturalisme au multiculturalisme.

 [6]Par exemple, en 2007 lorsqu’on me nomma « ambassadeur désignée par la Faculté d’éducation ».

 [7]Pour son étayage, voir sur monBrin de viedu 20 juillet 2011.

 [8]Par opposition à une retraite complète.

 [9]C’est du moins la perception de Pauline ÉTHIER suite à la recension du dit livre pour la revue L’Orientation professionnelle. 

 

 

 

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