Ne pas dire tous ses secrets à la même personne

La transition École-travail et ses secrets

Au cours d’une formation initiale, il y a pour l’apprenant une multitude d’occasions de s’autodévoiler quant à une force ou une faiblesse, une compétence ou une incompétence, un intérêt ou un désintérêt, une sympathie ou une antipathie, une conviction ou un doute et ainsi de suite. Ces dévoilements sont normalement –au départ du moins– en lien avec la future pratique professionnelle mais, inévitablement, rejoignent à l’occasion des aspects personnels : éducation, expériences, valeurs, traumatismes, etc. Dans les formations menant à une profession de conseil (counseling), cela est même un apriori voire un incontournable.

Il est plus que souhaitable que ces autodévoilements se fassent dans un contexte facilitant les alliances entre les parties et garantissant le respect et la confidentialité. Ce processus de dévoilement se poursuit durant les premières années de probation et/ou de carrière[1]durant lesquelles le stagiaire, novice ou junior[2]est appelé à échanger régulièrement avec un superviseur, coach ou senior[3]. De façon plus ou moins explicite, celui-ci est appelé à jouer au moins deux fonctions soit celle d’accompagner le « nouveau » dans sa double acculturation c’est-à-dire à son emploi et à son milieu organisationnel (Limoges, 2004)  et celle d’évaluer si ce « nouveau » est un bon candidat pour l’emploi, l’organisation ou la profession. Évidemment, toutes les parties en cause –y compris la direction de l’école ou de l’entreprise– sont de bonne foi, voire respectant des codes d’éthique quant à la confidentialité par exemple.

Mais, très rapidement, les divers codes d’éthique des parties en cause –en particulier ceux du superviseur, coach ou senior– entrent en conflit de sorte que l’un ou l’autre de ces codes est inévitablement transgressé amenant à révéler des secrets jusqu’alors bien gardés.

L’exemple classique

Un employeur considère embaucher un stagiaire ou donner la permanence à un novice (Pour le besoin de l’exemple, appelons l’un et l’autre X) et, pour ce faire, demande l’avis du superviseur, coach ou senior de X. (Que ce superviseur, coach ou senior soit singulier ou pluriel, actuel ou passé, appelons-le globalement S).

Généralement, après s’être assuré de la confidentialité –quelque fois de l’anonymat– et au nom de l’un de ses codes d’éthique, S aboutira à –ou sera contraint de– partager un minimum d’information reçu de X en toute confiance et confidentialité. Paradoxalement, ces révélations pourront être faites à la demande de X qui a mis S dans ses références ou encore parce que S aura au préalable obtenu de X l’autorisation d’agir de la sorte.

Quoiqu’il en soit, si S ne fournit pas les informations demandées, il sera accusé de manquer de fidélité et de respect par rapport à un « autre » de ses codes d’éthique, par exemple par rapport à son code de formateur désigné par un Ordre professionnel ou par rapport à son code d’employé envers son employeur.

Alors, avec un malaise évident, S dira des choses comme : « Lors des supervisions, à 2 ou 3 occasions, j’ai pu constater que X était inconfortable avec telle problématique… » ou «  Depuis que X travaille avec nous, il ne cesse de répéter qu’il préfèrerait de beaucoup ne travailler qu’avec la clientèle Y… » ou « Je vois mal X joindre l’équipe de Z car j’ai observé, qu’entre ces deux là, il ni avait aucune complicité possible » ou encore « Vous me demandez de choisir entre X ou Y. Je prendrais Y pour….  et pas X parce que… ».

En bout de ligne, l’information transmisse dans un cadre de respect et de confidentialité risque de se retournera contre l’informateur X et, ce, toujours en tout respect et en toute confidentialité !

« Dis pas tous tes secrets à la même personne »

Devant cet état de fait, avec des collaboratrices (Limoges, Lampron et Séguin, 2004), j’en suis venu à proposer aux personnes en transition École-Travail ou au premier tiers de leur carrière, de ne pas dire tous leurs secrets à la même personne, que ce soit un superviseur, un coach ou un senior. Comme ça, lorsque cette personne sera à court ou à moyen terme sollicitée pour donner un avis, elle ne pourra révéler qu’une partie du tout qu’est cette personne en transition ou au premier tiers de carrière. Néanmoins, à cette période de carrière, il appert que les personnes concernées ressentent un énorme besoin d’accompagnement, d’encadrement et même d’évaluation (Limoges, 2008 ; 2004).  Conséquemment, il vaut mieux pour elles d’avoir plus d’un supérieur, coach ou senior. Dans le dit Programme élaboré avec ces collaboratrices, je propose d’en identifier 8 et éventuellement le double !

En recommandant de « ne pas dire tous ses secrets à la même personne », j’étais conscient de faire, en quelque sorte, del’anti-counseling puisque le counseling prône  la confiance mutuelle, l’abandon, le lâcher-prise, la transparence, la congruence, l’intégrité, etc. (Limoges, 2008) Pour réduire cette incohérence fort inconfortable pour le conseiller passionné et convaincu que je suis, j’ai introduit dans le dit Programme surnommé M.O.T. la technique du codage des personnes ce qui permet de dire sans dire. Il s’agit d’une démarche réflexive plus appropriée à cette période de vie-carrière et –cliniquement parlant—plus efficace que celles misant sur l’autodévoilement à une seule personne[4]. En dépit de cela, l’inconfort persistant, j’ai écrit en gras et majuscules dans le Guide MOT du participant, page 14, ce qui suit : « Cette démarche (de ne pas dire tous ses secrets à la même personne) est conçue spécifiquement pour réussir votre acculturation au monde du travail et à votre premier emploi ; nous ne recommandons pas de la généraliser à d’autres situations de vie »…

La gestion Vie-Travailet ses secrets

Est-ce à cause de mon avancé en âge ou du fait que je suis de plus en plus « hors-circuits», toujours est-il que je suis de plus en plus et de façon répétée récipiendaire de lourds secrets. Quel privilège est-ce d’être dans l’intimité existentielle des gens ! J’en suis très humblement touché et très reconnaissant même si ce privilège peut être éternellement engageant[5] ! Ces secrets me sont confiés, me dit-on, parce que j’ai la réputation de garder un secret qui m’est confié, parce que l’on a confiance en moi et parce que l’on me perçoit comme respectueux et inconditionnellement acceptant. Une alliance est donc possible…

Or, il m’arrive de rencontrer une tierce personne qui détient aussi des secrets de cette même personne et, pour des raisons similaires que celles mentionnées au paragraphe précédent, cette tierce personne me confie l’essentiel des confidences reçues. Alors je l’écoute en fonction d’elle-même, c’est-à-dire en tant que détentrice de secrets, le je-tu plutôt que le je-tu-il. Mais, à mon grand étonnement, il m’arrive de constater que les dites confidences peuvent différer de celles que j’ai moi-même reçues et même, quelques fois, les contredire.

Il est possible que je ne sois pas encore assez digne de ces secrets-ci et je médite là-dessus. Mais pour le moment cela m’amène à me demander si le slogan « Ne dis pas tous tes secrets à la même personne » ne serait pas aussi pertinent pour les autres étapes de la vie-carrière….


[1]Dans Bien se maintenir en orbite autour du travail au 1er tiers de carrière, mes collègues et moi avançons que ce processus peut s’étendre sur toute la première décennie de carrière.

 

 

[2]Termes les plus souvent mentionnés dans la littérature et s’adressant autant aux femmes qu’aux hommes.

 

 

[3]Idem.

 

 

[4]Une étude comparée à ce sujet serait plus que pertinente.

 

 

[5]Aussi longtemps que la personne maintienne secrète cette information. 

 

 

Non classé